Chef opérateur
Je suis opérateur et j’interviens occasionnellement comme formateur, en particulier sur des stages de réalisation documentaire aux Ateliers Varan. Je travaille en fiction comme en documentaire, ce qui n’est pas très fréquent car ce sont des milieux d’ordinaire assez cloisonnés. Pour moi, il s’agit pourtant du même métier, même si l’on ne travaille pas de la même façon dans l’un et l’autre cas.
La question est de savoir ce qu’il faut avoir comme outils, à la fois pratiques et intellectuels, lorsqu’on arrive sur un tournage pour travailler sur l’image. Je pense que les fonctions de base d’une caméra peuvent être acquises en une demi-journée et je ne crois pas que l’enjeu soit celui-là. Faire l’image, ce n’est pas seulement utiliser des outils, mais surtout savoir ce qu’ils permettent, savoir ce qu’on a à notre disposition sur un plateau. Ce postulat se vérifie aussi bien sur un documentaire dont le/la réalisateur·rice est l’opérateur·rice, que sur un film de fiction qui rassemblerait une équipe image d’une douzaine de personnes. C’est pourquoi le meilleur moyen d’apprendre à faire du cinéma en s’occupant de l’image (et non pas « faire de l’image » comme on le résume trop souvent), c’est de le faire en grandeur réelle en passant par les différents postes d’un tournage : mouvements de caméra, éclairage, assistanat, et ce le plus tôt possible après la formation, lorsqu’on est le plus réceptif à ce que d’autres peuvent nous transmettre.
J’ai commencé mes études de cinéma au milieu des années quatre-vingts en allant à la fac, à Saint-Denis, où j’ai fait un Deug (Bac+2). En plus des cours, il y avait un peu de matériel, un gros stock de pellicule 16 mm périmée et un accord avec un laboratoire. Nous formions un petit groupe assez dynamique et nous faisions beaucoup de tournages. J’ai ensuite passé le concours de Louis Lumière, où j’ai acquis une connaissance technique très approfondie. Celle-ci m’a donné une assise, une vision globale des difficultés que l’on peut rencontrer sur un projet, une capacité à anticiper, tandis que la fac m’a appris à me débrouiller avec des bouts de ficelle et a développé mes capacités d’adaptation. Ce mélange d’expériences m’a aidé à circuler entre documentaire et fiction. J’utilise en fiction mon expérience documentaire pour garder les deux yeux ouverts et être capable d’intégrer les imprévus dans un cadre souvent assez préparé, et à l’inverse, en documentaire, j’ai une forme de rigueur liée à la pratique du cadre et du découpage acquise en fiction.
La question du regard est aussi une question de mémoire visuelle et de culture cinématographique. Si l’on considère le cinéma comme un art total, cette question pourrait même être élargie aux autres disciplines : à la peinture bien sûr, mais aussi à la musique, à l’histoire, à la littérature, aux sciences et à la politique. Lorsque j’aborde un projet, je me repose souvent sur des souvenirs de cinéma, sur ma mémoire de spectateur, en me disant « on pourrait faire ça un peu comme dans tel film » ou au contraire « pas comme dans tel film », et je sais que j’ai à ma disposition plus d’un siècle de cinéma. Or il est de plus en plus difficile d’avoir ce genre d’échanges avec les moins de 30-35 ans, même s’ils sortent d’écoles prestigieuses.
Cette mémoire m’aide aussi à prendre du recul dans ma pratique, à me poser davantage de questions sur mon désir, en termes de choix de cinéma. Il ne s’agit pas de se dire « Je vais essayer de faire la plus belle lumière possible », mais de raisonner en termes de plans, et reformulant la question plutôt ainsi : « Pour transformer ce projet ou cette séquence qui sont au départ des mots sur le papier, qu’est-ce que je vais pouvoir mettre en œuvre ? ». Ne pas se dire « on va tourner à l’épaule parce que ça va être plus subjectif » ou « on va faire des plans-séquences », mais se poser vraiment la question de savoir quels plans seront déterminants pour telle séquence ou tel moment du film. Pour faire l’image d’un film, il faut avoir quelque chose à dire avec les images, et cela s’apprend en aiguisant notre regard, en le singularisant. L’habileté n’est là que pour matérialiser notre point de vue, et il nous faut pour cela de la curiosité, laquelle ne s’apprend pas dans les formations, même si elles peuvent la stimuler.
J’ai été l’assistant et le cadreur de plusieurs grands directeurs de la photo, en France et en Italie. Ils avaient pour la plupart une façon de concevoir le travail certes comme « leur » image, mais d’abord comme l’image du film. Je travaille encore de temps en temps au cadre avec Renato Berta, qui a collaboré avec les plus grands cinéastes européens, et, dans le travail qu’il accomplit, on peut dire qu’on reconnaît l’image de Berta adaptée à chaque fois au cinéaste avec lequel il collabore : l’image des films qu’il a faits avec Resnais, c’est du Resnais ; avec Amos Gitaï, c’est du Gitaï, et il en va de même avec ceux de Louis Malle, d’Oliveira… Il a cette capacité formidable de matérialiser le projet d’un·e cinéaste sans se l’accaparer.
Quelle formation choisir ? Je n’ai pas de connaissance exhaustive de l’état actuel des formations, mais je les connais un peu par mes rencontres avec des jeunes qui y sont passé·es. À Louis Lumière, où l’on entre sur concours à Bac+2, il vaut mieux avoir un Bac scientifique, être bon en maths et en physique, et aussi un peu à l’aise en optique et en électricité (la chimie n’est plus indispensable du fait de la quasi disparition de la pellicule), mais il y a aussi des épreuves plus « littéraires » comme l’analyse de films et des profils moins scientifiques y ont aussi leur chance (ça a été mon cas). Il en va de même au département Image de la Fémis, dont le recrutement est proche, même si on baigne dans des eaux différentes puisque plus de métiers du cinéma y sont enseignés.
Pour ceux qui n’ont pas l’opportunité de faire l’une de ces écoles, il reste à choisir entre le privé et la fac. J’ai une certaine prévention contre les écoles privées du fait de leur prix, mais j’ai rencontré des élèves qui sortaient de certaines d’entre elles avec un bagage pertinent. Il faut bien se renseigner, en particulier auprès des anciens élèves. Quant à la fac, elle exige d’être soi-même moteur de sa formation : ne pas trop se laisser porter par le courant — ce qui n’est pas toujours évident quand on sort du Bac — mais savoir s’imposer des règles en sachant pourquoi on est là, et multiplier les petits tournages.
Les métiers de l’image recouvrent de nombreux postes et des configurations multiples, depuis le cas extrême du documentariste qui tourne seul, et qui a besoin de compétences dans de nombreux domaines, jusqu’à la configuration classique d’une équipe image dans le cinéma de fiction. Sur un long-métrage de fiction, l’équipe est dirigée par le/la directeur ·rice de la photo, qui contrôle l’image, lumière et cadre, dans sa globalité. On l’appelle aussi chef·fe opérateur·rice ou parfois tout simplement opérateur·rice. Il/elle peut faire lui/elle-même le cadre, comme c’est souvent le cas en France, mais aussi le déléguer à un·e cadreur·se, qui matérialise ses choix en exécutant les cadres et les mouvements.
La fonction principale du/de la premier·e assistant·e caméra est d’effectuer la mise au point de chaque plan. Le/la deuxième assistant·e s’occupe de la manutention et de la maintenance du matériel. Une troisième personne, qu’on appelle le Data manager ou le DIT (Digital Imaging Technician), s’occupe du workflow, le suivi des fichiers de rushes jusqu’à l’étalonnage, et veille à ce que le rendu de l’image soit au plus près de l’esprit du projet. Selon les tournages, le DIT peut jouer un rôle plus ou moins important. Par exemple, dans la pub, les commanditaires veulent voir sur le plateau le résultat quasi final, et le DIT joue alors le rôle d’étalonneur·se le plateau.
Autour de la caméra, Il y a aussi les électricien·nes et les machinistes. Les premier·es travaillent sur la lumière et les second·es sur les déplacements de la caméra, travelling et autres, et sur les systèmes d’accroche des projecteurs. Quand il y a une équipe d’électros, le/la chef·fe électro est en contact direct avec le/la directeur·rice de la photo et transmet des indications précises à son équipe pour savoir où et comment placer les projecteurs.
Toujours autour de la caméra, il y a aussi l’assistant·e vidéo qui s’occupe des moniteurs. Depuis qu’on tourne en numérique, on peut avoir facilement plusieurs moniteurs sur le plateau. C’est un rôle à ne pas mésestimer quand on débute car l’assistant·e vidéo regarde l’image pendant les prises et doit être attentif·ve à certains aspects de la composition ou de la lumière, que le/la réalisateur·rice peut parfois négliger.
Après le montage se déroule l’étalonnage : il consiste à doser plan par plan les quantités et qualités de lumière selon les choix faits par l’opérateur·rice en accord avec le/la réalisateur·rice. Enfin, il y a dans les laboratoires qui assurent le suivi des fichiers jusqu’à la copie de diffusion (DCP) un certain nombre de technicien·nes qui ont essentiellement des connaissances informatiques appliquées à l’image.
Selon les projets, le traitement de l’image en post-production peut prendre plus ou moins d’importance. Personnellement, et c’est lié à ma formation à la pellicule, j’aime au tournage avoir une image déjà orientée vers le résultat final. Je préfère prendre la décision en amont, par exemple donner une tonalité sombre à une séquence, quitte à ne pas pouvoir faire marche arrière à l’étalonnage. C’est, il me semble, une méthode qui pousse davantage à bien mesurer ses choix en phase de préparation. L’une des grandes qualités demandées dans nos métiers est la capacité d’anticipation, non pas de deviner mais de se projeter pour ainsi dire jusqu’à la projection dans la salle. Cet effort me paraît aujourd’hui presque aussi important qu’à l’époque de la pellicule, où l’on ne voyait les rushes qu’une fois développés et tirés, parce qu’on est toujours en train de tourner un seul plan alors que le film va en compter beaucoup d’autres, et qu’il faut intégrer ce plan tourné à l’instant T à l’intérieur de tous les autres. D’autre part, si le rendu du moniteur à l’air de ressembler au résultat final, il peut aussi être un piège en termes de raccord, de lumière, de cadre ou d’axe et il faut continuer de faire fonctionner son cerveau, sans se reposer sur ce que peuvent nous offrir Messieurs Arri, Sony ou Canon.