Engagé dans des études classiques de philosophie à la Sorbonne-Paris 1, je m’imaginais finir « professionnel de la pensée », improvisant des discours sur le temps ou la liberté, ou discutant de l’être de l’étant chez Heidegger. Et finalement rien ne s’est passé comme prévu. Déçu par le système des concours et une pratique strictement rhétorique de la philosophie, j’ai tout arrêté pour suivre une formation en cinéma, puis me lancer dans la réalisation avec une demi-douzaine de courts métrages (fiction, documentaire, expérimental), et un long métrage documentaire. Quelques années plus tard, je suis retourné sur les bancs de l’université pour préparer un Master en sociologie, puis un doctorat de socio-esthétique du cinéma documentaire à Paris 8. J’ai enseigné à l’université Paris 8 et à l’université de Poitiers, puis à l’université Rennes 2, et pour finir je suis devenu Maître de conférences à l’université Bordeaux 3, où je dirige le Master « Création, Production, Images : Cinéma interactif et nouveaux médias », au sein de la spécialité « Image et Multimédia ».
Ce parcours tient beaucoup aux rencontres, à la chance (parfois provoquée) et à la succession d’événements improbables qui participent à créer des opportunités et à forger la personnalité. Il illustre surtout ma conviction que les chemins qui mènent à la création cinématographique sont bien nombreux (et pas toujours orthodoxes), et que les écarts, les digressions et les erreurs, peuvent se révéler des ressources précieuses. Cette trajectoire laisse également apparaître le lien qui existe entre les arts et les sciences : ces sphères d’activité développent l’une et l’autre l’esprit critique (non pas au sens faible du jugement d’appréciation, mais au sens fort du processus par lequel se constitue une rupture avec le sens commun). En tant que mass média, l’audiovisuel (cinéma, télévision) est un support privilégié à partir duquel exercer cette critique. Que font en effet les plus grands cinéastes, producteurs, et scénaristes, à l’instar des sociologues ou des chercheurs en général, si ce n’est contredire, chacun à leur manière, les stéréotypes et les évidences quotidiennes ?
C’est dans cet esprit en tout cas que les étudiants du Master « Création, Production, Images » sont formés pendant deux ans aux métiers de la conception et de la production audiovisuelles, avec à partir de septembre 2010 une spécialisation en matière de « web cinéma ». Le nouveau programme conduira les étudiants à apprendre à écrire des scénarios courts interactifs (relevant de la fiction ou du documentaire, à destination de l’internet et des nouveaux supports mobiles), à expertiser des scénarios de longs métrages, à manier caméra, mixette et techniques de montage, à établir un plan de tournage et un budget, à participer à des équipes et à tourner des films. Il seront amenés également à faire des analyses filmiques, à étudier des dispositifs multimédias, à contextualiser le cinéma et la télévision, à observer des interactions sociales dans le champ audiovisuel, à réaliser des entretiens avec des professionnels, et d’une façon générale, à pratiquer la suspension du jugement. Tout cela se fera avec l’idée sous-jacente que la multiplicité des expériences éveille l’intelligence et forme l’esprit, et que la gymnastique de la distanciation est indispensable, quel que soit le métier final. Le Master développe donc une approche résolument analytique et critique, s’appuyant sur le croisement des disciplines et la diversité des systèmes théoriques et des techniques enseignés.
L’entrée dans le Master est sélective, avec une vingtaine d’étudiants par promotion, recrutés à Bac+3 pour une entrée en Master 1, et à Bac+4 pour quelques candidats qui entrent directement en Master 2. Cela signifie que nous suivons, conseillons et accompagnons chaque étudiant durant sa formation, afin qu’il développe au mieux sa créativité et son autonomie intellectuelle. Le Master mobilise également un large réseau (la moitié des enseignants sont intervenants professionnels), développe de multiples partenariats en région et organise régulièrement des tournages à l’étranger.
Au terme de leur formation, les étudiants peuvent s’orienter vers une grande variété de professions, avec un fort taux d’insertion. Bien sûr, il y a les métiers qui concernent la production (direction de production, production exécutive, assistanat à la réalisation…), ou les autres branches de la filière audiovisuelle (la distribution, l’exploitation, la direction de programmes). Mais il faut aussi ajouter le secteur multimédia, dans lequel nos étudiants pourront trouver une place en tant que concepteurs de contenus audiovisuels interactifs. L’importance accordée à l’écriture peut également faciliter une spécialisation en tant que scénariste audiovisuel, tout comme le Master peut servir à s’orienter vers la réalisation.
Au fond, l’ambition pédagogique de notre Master repose sur une conception de la production avant tout comme activité de direction artistique. Cela veut dire que le futur chef de projet doit connaître toutes les étapes et dimensions de la création audiovisuelle et multimédia. Le Master forme l’étudiant à toute la chaîne technique du cinéma, et dès la prochaine rentrée va l’initier au multimédia et encadrer des projets de création numérique sur Internet. Il offre à la fois des cours à fort contenu théorique et des ateliers pratiques, avec toujours la perspective d’offrir une culture générale audiovisuelle solide. Nous refusons ainsi de réduire le responsable d’un projet cinématographique, télévisuel ou multimédia à la caricature de l’administratif cherchant systématiquement son intérêt et des bénéfices maximums. Il est un conseiller et un partenaire, le grand ordonnateur d’un projet artistique, autant que celui qui assure la gestion économique, humaine et matérielle d’un produit culturel. Si je devais donc résumer l’originalité de ce Master, je dirais qu’elle réside dans son caractère pluridisciplinaire, polyvalent et professionnel, dans son ouverture sur le multimédia, et dans sa capacité à permettre aux étudiants à la fois de créer de dispositifs audiovisuels et interactifs exigeants, et de maîtriser les logiques socio-économiques dans lesquelles ces dispositifs se développent.
(Témoignage publié dans le guide des formations 2010)