Mon premier film, « Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ? » raconte l’histoire d’un jeune qui revient dans sa cité après avoir purgé une double peine. Le film a été tourné aux Bosquets, à Monfermeil, une cité où j’ai grandi.
Le cinéma est un rêve qui remonte à l’enfance. C’est un secret que j’ai longtemps gardé mais il y a un jour dans une vie d’homme où il faut assumer ses désirs ou les enterrer. Je n’ai jamais fait d’école de cinéma mais j’ai lu quelques livres sur la mise en scène, en particulier les leçons d’Eisenstein, et j’ai beaucoup appris en regardant des films en vidéo. J’ai fait aussi des études en anthropologie humaine, qui m’ont conduit à réfléchir sur les minorités ethniques en milieu urbain et la question du territoire.
Le scénario de « Wesh wesh » a été écrit avec Madjid Benaroudj, qui gère également le label de hip hop « Assassin Productions ». Le projet d’écriture est né en 1994, bien avant la réalisation du film. Madjid et moi étions alors étudiants à Paris V. Les premiers films dits « de banlieue » qui sortaient à cette époque nous laissaient perplexes : ils étaient pour la plupart trop loin de la réalité, ce n’étaient pas des films faits de l’intérieur. Ce projet était un défi : nous avions quelque chose à dire, à faire, et personne ne pouvait le dire ni le faire à notre place. Pendant plusieurs années, nous avons frappé à des portes qui ne se sont pas ouvertes. Plutôt que de renoncer, j’ai alors décidé en 1999 de me lancer à l’aventure. J’ai monté ma propre société de production (Sarrazink) en revendant à mes frères mes parts dans la société de transports paternelle. Encore une question de déterminisme social !
Le tournage s’est fait en vidéo numérique pour des raisons financières mais aussi esthétiques. Il s’est étalé sur un an, s’interrompant quand l’argent s’épuisait puis reprenant quand nous en avions la possibilité. Ces pauses involontaires avaient le mérite de nous apprendre à gérer la question du temps. Nous avons tourné avec des acteurs professionnels mais aussi avec des « lascars » de la cité et les membres de ma famille. Je ne fais guère de différence entre les comédiens professionnels et les autres, pour moi on devient acteur dès que l’on est devant une caméra, mais il est vrai que le rapport avec les non professionnels était souvent plus intense, plus frais et sincère. Le montage s’est fait avec un jeune monteur qui venait du documentaire, Nicolas Bancilhon, qui montera ensuite Bled Number One. C’était son premier long métrage. Nous avions tous une énergie semblable, naïve, avec un vrai désir d’apprendre et de s’exprimer
Le film a été kinescopé en 35 mm et montré au festival de Belfort où il a gagné le Prix à la distribution. Il a ensuite été sélectionné en 2002 à Berlin où il a reçu le Grand Prix Wolfgang Staudte du Forum International du Nouveau Cinéma (10 000€). Nous avons trouvé un distributeur (Haut et Court) qui a tiré le film sur 66 copies. Pour obtenir l’agrément de production du CNC, il a fallu tout légaliser, ce qui n’était pas une mince affaire car c’était d’abord un film sauvage. On a obtenu ensuite l’Avance après réalisation (environ 80 000€) puis le Prix Louis Delluc du Meilleur premier film en 2003. Le film a eu un très bon accueil critique et a fait plus de 70 000 entrées en salles. Arte et Arte vidéo l’ont acheté (100 000€) ainsi que les chaînes cinéma, ce qui nous a permis de boucler le budget du film, qui était de 230 000€ environ.
J’ai commencé à écrire Bled Number One à l’été 2004, avec ma co-scénariste Louise Termes, qui est également réalisatrice. Le film raconte le retour du personnage principal de Wesh Wesh en Algérie. Double peine, double film… Nous avons cette fois obtenu l’Avance avant réalisation (un peu plus de 400 000€). Le tournage s’est fait en juin-juillet 2005. Nous avons été reçu à bras ouverts par l’Algérie, où je n’étais pas retourné depuis 20 ans. J’ai tourné dans ma région natale, avec trois comédiens professionnels et une fois encore de nombreux membres de ma famille. L’accueil de la population était particulièrement chaleureux.
Les Films du Losange sont entrés en coproduction après le montage. Cette coproduction permettait de boucler le budget du film (1,2 M€) et nous assurait de sa distribution. Le film a été sélectionné à Cannes où il a reçu le Prix de la jeunesse. L’accueil critique a là aussi été très favorable. On a aussi beaucoup accompagné le film, en France et dans le monde.
Il y a dans ce film comme dans le précédent une dimension documentaire, une volonté de capter une réalité fondée sur des faits sociaux et d’en faire le point de départ de la fiction. Un film, c’est un geste, un élan. C’est là où l’on saisit quelque chose du vivant. Il faut demeurer vivant, quoi qu’il arrive. Etre entre deux cultures permet d’avoir davantage la conscience que tout est mouvement, que tout est en transformation. C’est ce qui se passe de manière plus globale avec les « rebeus » des quartiers populaires ici. Ils sont loin de leur pays d’origine, de leur culture et doivent donc inventer un autre terrain d’expression. Mais on a tout intérêt à déjouer les pièges du ghetto, des étiquettes. D’où le choix d’être aussi acteur et producteur. Produire moi-même, c’est ce qui me permet de faire vraiment ce que je veux, d’être vraiment indépendant.
(Témoignage publié dans l’édition 2005 du Guide des Aides)