J’ai réalisé mon premier court-métrage en 1998. C’était un film de fiction de 8’ intitulé « Le premier des deux qui rira », autour du thème du rendez-vous amoureux manqué. Je n’avais alors aucune formation ni expérience. J’avais arrêté le lycée professionnel après une scolarité désastreuse et j’étais objecteur de conscience – il y avait encore le service militaire – au Centre Chorégraphique National de Belfort, ma région natale. Je n’étais guère cinéphile et j’étais plutôt nourri de télévision. Mon seul rapport avec l’art était la peinture : je peignais depuis l’âge de 15 ans et j’avais exposé dans plusieurs galeries de la région.
Faire un film était pour moi un challenge. J’ai obtenu une bourse Défi Jeunes ainsi qu’une aide du Conseil général du Territoire de Belfort et une autre de la Région Franche-Comté. J’ai monté une association pour héberger les financements, qui devaient atteindre en francs l’équivalent de 18 000€. Dès que j’avais un moment, j’allais à Paris pour démarcher les producteurs et rencontrer le milieu professionnel (il est essentiel, surtout lorsqu’on débute, de s’entourer de gens expérimentés). J’ai réussi à convaincre une équipe et nous avons tourné en 35 mm.
Le film a assez bien marché et m’a permis d’acquérir une petite notoriété régionale. J’ai ensuite vécu pendant trois ans de petits jobs, puis du RMI, tout en continuant à écrire des scénarios de fiction. J’ai connu aussi pas mal de déboires. J’avais du mal à trouver une porte qui s’ouvre à moi et quelqu’un qui veuille bien me faire confiance. Je n’avais à l’époque aucun intérêt pour le documentaire, que j’assimilais au reportage télévisé.
Ma rencontre avec le documentaire est née d’une opportunité. Je présentais mon court métrage dans un lycée professionnel de la région, dans le cadre du dispositif Apprentis au cinéma, lorsqu’un professeur et le proviseur du lycée m’ont proposé de filmer une classe. Ensemble nous avons trouvé des financements dans la région. J’ai rencontré le producteur au festival Entrevues de Belfort et celui-ci a pu, grâce une chaîne locale (Image Plus Épinal) bénéficier du COSIP. Nous avons fait un film de 52’, un portrait croisé de quatre élèves. Le film s’appelle « Quel travail ! » et a été réalisé en 2002. J’ai mis dans ce film beaucoup de moi-même, c’est ma région et c’est aussi mon histoire : une « classe poubelle », le sentiment de honte lié à l’absence de diplômes, le manque de confiance en soi, mais aussi la possibilité de transformer l’échec. C’est avec ce film que j’ai compris l’enjeu du cinéma documentaire.
C’était un moment où l’on parlait beaucoup de l’enseignement professionnel. Je suis allé voir Libération qui a décidé de faire un reportage sur le tournage du film et quand il a été terminé, je suis allé dans toutes les rédactions nationales avec ma cassette sous le bras. Le film a eu une bonne couverture presse malgré sa diffusion confidentielle. France 5 l’a alors acheté et diffusé en 2003. La chaîne a coproduit trois films que j’ai enchaîné ensuite : « Nous les apprentis », « Jours précaires » et « Tahar l’étudiant ».
« Jours précaires » est un portrait croisé de deux travailleurs pauvres. Le projet a obtenu une aide à l’écriture du CNC. Cette aide était d’autant plus importante que j’avais des difficultés avec l’écriture et qu’elle me faisait peur (elle continue à me faire peur mais je pense aujourd’hui que cette angoisse est aussi un aiguillon pour avancer). Outre cet aspect symbolique essentiel, l’aide, d’un montant de 4000€ à l’époque, m’a permis d’approfondir l’écriture et la préparation du film et de prendre le temps de mieux connaître mes personnages : l’un travaillait auprès de personnes âgés comme auxiliaire de vie, et exerçait donc un métier d’utilité publique mais sans parvenir à subvenir correctement à ses besoins, l’autre était une femme de ménage, qui pour de multiples raisons n’avait plus accès à un logement et vivait seule dans sa voiture, en marge de la société.
Le producteur de « Jours précaires », Xavier Carniaux d’AMIP, a réuni un budget suffisant (environ 70 000€) pour tourner le film dans de bonnes conditions, d’autant que j’ai là encore obtenu une aide de la Région, qui prenait en charge l’hébergement et les frais de régie durant le tournage.
J’ai ensuite réalisé « Tahar l’étudiant ». Tahar était alors un étudiant en galère, qui avait déjà été figurant dans mon premier court métrage. Le producteur du film, Bruno Nahon, de Zadig Productions, m’a poussé à écrire et surtout à cadrer moi-même. C’est pourquoi je suis assez fier de ce film. Cette rencontre a été essentielle et je pense sincèrement que j’aurais arrêté si elle ne s’était pas faite. Depuis nous construisons réellement ensemble des projets à long terme. Le film a fait pas mal de festivals et à reçu cette année une « Etoile » de la SCAM(4000€).
J’ai fait en même temps une autre film, « Le Journal de Dominique », encore avec Zadig mais cette fois pour Arte. C’est l’histoire d’une femme qui est gardienne dans une cité de Belfort et qui écrit sur les habitants de la cité. Son livre va sortir en même temps que le film (coédité par le Seuil et Arte éditions). Actuellement je tourne un film sur le MEDEF et j’écris aussi un projet de long métrage documentaire que je vais déposer à l’Avance sur recettes.
L’écriture de dossiers pour obtenir des aides peut sembler au départ rébarbative, mais elle devient vite une nécessité. C’est en écrivant des dossiers que j’ai appris concrètement à faire la différence entre reportage et documentaire et à m’affirmer comme auteur à part entière : préciser ses intentions, les communiquer dans un texte clair et concis, donner envie de voir le film à venir, convaincre du regard que l’on porte sur un sujet, à travers ses partis pris formels et sur le fond, porter un regard personnel sur une réalité tout en respectant les personnes qu’on filme, des personnes qui ne sont pas des personnages et dont il faut, en un temps court, rendre la vérité sans les instrumentaliser.
(Témoignage publié dans l’édition 2005 du Guide des Aides)