« La Femme seule » est né d’une conversation surprise dans l’autobus : une femme racontait à son amie comment elle était devenue l’esclave d’une famille en France. Je lui ai parlé et je lui ai proposé un rendez-vous pour une interview. Elle m’a donné son accord mais je ne l’ai jamais revue. Peur d’éventuelles représailles ? Je n’en sais rien mais comme le sujet m’intéressait, j’ai contacté le Comité National contre l’Esclavagisme Moderne, où j’ai fait la connaissance d’une jeune femme togolaise, Legba Akosse, qui a accepté de témoigner.
Durant mes études à l’Ensad, j’avais réalisé plusieurs courts métrages intégrant la vidéo mais aussi la photographie. Influencé par les travaux de Chris Marker et de Sophie Calle, je m’étais interrogé sur la notion de représentation, le rapport image fixe et image en mouvement, ou encore sur l’utilisation du son. Le dispositif mis en place pour « La Femme seule » s’inscrit dans cette réflexion : il mélange des prises de vue en image fixe de Legba et des lieux où elle vivait au Togo, des mouvements de caméra tournés en 35 mm dans un appartement représentant celui où elle était esclave en France et sa parole en off.
J’ai déposé un dossier de demande d’aide à l’écriture au CNC, constitué d’une première interview et de photographies, mais le projet a été refusé. Le film a été initié sur les fonds propres de mon producteur, Jean Christophe Soulageon, des Films Sauvages, que j’avais rencontré à Aubagne, sur un précédent projet. Le début du tournage, deux jours de prises de vue en appartement, a été financé selon l’économie habituelle du court métrage : bobines de film 35 mm récupérées à droite et à gauche, salaires de l’équipe en participation…, la foi de tous dans le projet servant de carburant.
Le producteur a essayé de trouver des financements auprès de l’UNESCO, du FASILD et du ministère des Affaires étrangères, toujours sans succès, jusqu’à ce qu’il obtienne en 2003 un pré-achat de Canal France International, à hauteur de 2500€, qui a permis de financer la suite du tournage.
Parallèlement, j’ai été sélectionné à la Cinéfondation pour un projet de long métrage, intitulé « Slimane le Magnifique ». A cette occasion j’ai découvert l’existence de la bourse Talents Campus, que j’ai obtenue, toujours avec ce projet de long métrage. La bourse, d’un montant de 4000€, est accompagnée d’ateliers et d’un pitch durant la Berlinale. J’ai réinvesti cette bourse sur « La Femme seule ». Que « Slimane le Magnifique » attende « La Femme seule » pour voir le jour n’était pas pour me déplaire…
En avril 2004, je suis parti huit jours au Togo avec un ingénieur du son, et j’en suis revenu avec plus de 1200 photos et un matériel sonore considérable. Canal France International a accepté de remettre de l’argent sur la post-production, ce qui permettait de payer un chef-monteur. Des amis m’ont prêté du matériel pour scanner les photos et m’ont aidé à les transférer en vidéo.
Le film a été sélectionné à Lussas à l’été 2004 et présenté dans une version inachevée, puis étalonné et mixé en octobre. Il a ensuite été acheté par Arte pour « Court-Circuit », ce qui nous a permis de rembourser les frais engagés par la production, l’équipe et moi-même. Nous avons aussi reçu la Prime à la qualité du CNC, d’un montant de 11000 €, qui a financé le tirage de copies 35mm, deux copies étant sous-titrées en anglais par Unifrance. Le film a donc pu circuler dans de nombreux festivals en France et à l’étranger, où il a remporté plusieurs Prix, ce qui m’a permis aussi d’aider un peu Legba. Parmi les encouragements que j’ai reçus, le sien n’était pas le moindre. Elle a obtenu des papiers et s’est mariée. Sa situation s’est donc beaucoup améliorée, même si elle garde des souvenirs douloureux de son expérience.
Faire un film est affaire de passion, de talent et de moyens, mais aussi d’endurance. Il existe une censure par l’argent mais il y a souvent aussi une part d’autocensure, une peur à traiter certains sujets. Le court-métrage est un petit milieu où beaucoup se joue dans les rencontres. Certains projets doivent mûrir avant de pouvoir se faire, et s’ils ne peuvent voir le jour à cause des difficultés économiques ou des conditions sociales et politiques, il faut recommencer avec d’autres. Faire un film est un combat et c’est en ce sens qu’on peut dire que c’est un acte véritablement politique. Enfin, lorsque l’on a la chance d’entrer dans le système des financements, il ne faut pas perdre l’essentiel et savoir rester curieux, ouvert, chercher ailleurs, être un peu nomade et voyager. C’est parfois dans la marge qu’un film mérite d’exister. Il ne faut jamais perdre de vue cette idée, au risque de devenir dépendant d’un système, d’être moins curieux, moins ouvert, et finalement moins créatif.
(Témoignage publié dans l’édition 2005 du Guide des Aides)