“Mimetika”, une installation de Catherine Nyeki

“Mimetika”, une installation de Catherine Nyeki

Depuis une quinzaine d’années, je me consacre dans mon «laboratoire plastique» à l’élaboration de «botaniques parallèles», à la création d’organismes hybrides (réel-virtuel) ayant trait à la biologie, aux nanotechnologies, à la génétique, à la manipulation fondée sur des lois physiques imaginaires proches du vivant. Mon travail s’est développé dans un foisonnant biotope (un laboratoire tactile de films cellules, de greffes virtuelles, de
dessins souches, un zoo sémantique multilingue, un vivarium élastique, des paysages d’énergie microscopique, des archipels de sens, des jardins de signes…). Je réalise des œuvres interactives, films, installations, dessins, créations vocales et compositions musicales. Ces travaux sont régulièrement exposés en galeries, festivals, musées, en France et à l’étranger.

L’origine du projet Mimetika remonte à 2010, lorsque la Biennale internationale du Design et d’Art contemporain de Liège en Belgique m’a invitée à créer une installation video sonore sur le thème du biomimétisme. L’Archéoforum, site archéologique de plus de 9000 ans d’histoire, s’est avéré le lieu idéal pour créer une œuvre in situ. Ce musée, situé sous la place Saint-Lambert au centre de la ville de Liège, offrait les conditions de lumière et d’acoustique tout à fait adaptées pour imaginer un parcours vidéo significatif. La présence d’une nappe phréatique sous les vestiges m’a inspiré une «plongée video-plastique» inédite.

Mimetika représente un tournant dans mon travail. Depuis quelques années, je ressentais la nécessité d’abandonner le tout virtuel en intégrant la prise de vue réelle dans mes travaux et en particulier un travail sur le corps en rapport avec le mime et la danse. Cet abandon progressif de l’image calculée artificielle au profit de l’image captée naturelle m’a ouvert la voie d’une richesse plastique insoupçonnée.

Mimetika signifie mimétique en Hongrois. Il s’agit ici d’un mimétisme paradoxal. Si dans la nature, on peut observer de très nombreuses stratégies de mimétisme, souvent pour échapper aux prédateurs comme le camouflage par photophores des poulpes ou la simulation de végétaux des phasmes, Mimetika se situe aux frontières du mime théâtral, en proposant un mimétisme à la fois plastique et symbolique. En utilisant les techniques traditionnelles des marionnettistes, j’ai constitué, à partir de mon bras costumé mimant des mouvements bio aquatiques, un corpus de plus d’une cinquantaine de «nano-videos». Grâce à cette importante collection de formes souches évoquant les cellules souches désormais bien connues en biologie, j’ai combiné à la manière d’un mécano, une foison d’organismes «planti-corps» hybrides proches du vivant auxquels j’ai associé un langage sonore et un comportement spécifique.

Mimetika n’est pas un film linéaire narratif, c’est une œuvre à plasticité variable et projections multiples, constituée de plusieurs films courts regroupés en trois catégories: Mimetika Corpus, Mimetika Hublot et Mimetika Famille. L’exposition dans le musée de l’Archéoforum était organisée sous la forme d’un parcours, proposant au public de découvrir 14 «hublots-vidéo» contenant, à la manière d’un aquarium ou d’un vivarium, des familles d’organismes bioMimetiques imaginaires «trans-plantes» à plasticité variable aux natures plus excentriques les unes que les autres. Sur 14 types d’écrans (projections sur les murs, au sol, transvasement d’un écran à l’autre) Mimetika Corpus révélait aux visiteurs une grande diversité mimétique. La proximité d’une nappe phréatique en sous-sol a fait l’objet d’un quinzième film circulaire, Mimetika Hublot, projeté au sol dans un grand espace à l’acoustique de cathédrale et accompagné d’un chant, une histoire «sur-réelle» trouvant sa source d’inspiration dans mes racines hongroises. Dans le cercle, à l’image d’un puit artificiel, d’un bassin de pisciculture ou d’une boîte de pétri géante, le visiteur pouvait en fin de visite observer l’ensemble des organismes biomimétiques découverts dans les «hublots-vidéo», évoluant, tel un banc de poissons imaginaires, dans un flux circulaire sans fin. Récemment, un tableau sous forme d’une classification en mouvement a regroupé les 100 organismes des 14 familles mimétiques de telle sorte que le spectateur puisse les observer tous en même temps, voir leurs différences, leur ressemblance et leur évolution.

La singularité de Mimetika dans les arts numériques tient dans le propos, la mise en œuvre et surtout mon travail musical. Pour moi, la création sonore et visuelle est d’égale importance. J’élabore la structure musicale de la même manière que la partie visible procédant par récolte de formes et de sons souches que j’assemble puis je recompose après avoir provoqué des mutations au niveau des tessitures et des rythmes. Ma voix, souvent a capella, est un matériau brut que je transforme numériquement comme une pâte à modeler vocale et sémantique. Le travail mené autour de la traduction du mot mimétique en plusieurs langues m’a ouvert un vaste territoire de nano manipulations, une plasticité sonore intimement liée aux manipulations des captations corporelles. À l’heure des bricoleurs du vivant jouant aux apprentis sorciers avec leurs nouveaux mécanos biologiques, Mimetika mime un vivant plausible et audible, à la fois réel et artificiel révélant un proto-langage paradoxalement archaïque et d’une modernité contemporaine. La frange, l’ambiguïté entre le vrai et le faux, l’humour, la sensualité, le caractère attirant ou répulsif qui se dégage de certains organismes provoque questionnements, déstabilisations et fascinations.

Mimetika a reçu en 2013 le Prix de la Scam Art numérique Nouvelles écritures. Un coffret DVD numéroté en série limitée (25 exemplaires) a été publié par l’Archéoforum en 2012. La Cité des Sciences de la Villette, Universcience, en a fait l’acquisition après l’avoir exposé dans l’exposition Plastika. La Gaîté Lyrique l’a accueilli en 2013 dans le cadre du Festival Pariszone@dream, les films étant par ailleurs consultables au centre de ressources de la Gaîté. J’envisage la suite de la diffusion dans des musées sensibilisés à la confrontation art-sciences, en galeries et lors de festivals. Mimetika peut s’adapter à des lieux très différents tant en projection horizontale que verticale, peut être répliqué sur de nombreux petits écrans ou projeté sur un grand écran de haute résolution offrant ainsi des perceptions à des échelles différentes.

En parallèle de mon travail mimétique vidéo et musical, je me consacre à l’édition de livres numérotés, à la création de dessins, de photos mises en scène autour du corps et des metas-corps, d’images créées sous microscope ou loupe binoculaire et de recherches musicales avec ma voix… J’interviens également à l’école des Gobelins. Les axes de mes recherches rhizomatiques constituent une cartographie plastique en constante évolution, un jardin dont les graines semées, les boutures greffées, prolifèrent sans cesse. Jardinière de signes, plasticienne laborantine connectée au réel, inspirée par les sciences et le corps qu’il soit humain, végétal, animal, hybride ou même totalement imaginaire, mon travail entre en résonance avec le monde déstabilisant et fascinant que l’homme a la capacité aussi bien de construire que de détruire. De notre naissance à aujourd’hui et à demain notre corps est toujours différent en constante évolution. La plasticité du vivant est au cœur de ma création. Avec Mimetika le spectateur est confronté à une étrange interrogation: Comment de simples éléments du quotidien filmés et retransformés, peuvent, sans aucune prothèses technologiques, être force de vie, d’élasticité spatiale et temporelle.

Catherine Nyeki est artiste «plasticienne laborantine» plurimédias et musicienne.
http://www.nyeki.com

(Témoignage publié dans l’édition 2013/2014 du Guide des Aides)