“Mon mur à moi”, un long métrage documentaire de Silvia Staderoli

“Mon mur à moi”, un long métrage documentaire de Silvia Staderoli

J’ai 34 ans et je suis née à La Spezia, en Ligurie, au nord-ouest de l’Italie. Cette petite ville provinciale, qui a longtemps vécu autour d’une entreprise d’armement avant qu’elle ne périclite après la chute du Mur de Berlin et la fin de la guerre froide, est le cadre de mon premier long métrage documentaire, Mon mur à moi.

J’ai commencé mes études de cinéma à l’université de Bologne, où j’ai travaillé sur le réalisateur surréaliste tchèque Jan Svankmager. Une bourse d’écriture de l’université m’a permis de passer sept mois à l’école de cinéma de Prague, la FAMU, pour y rédiger mon mémoire, qui a fait l’objet d’une publication en Italie.

Je suis venue ensuite en France, dans le cadre d’Erasmus, pour poursuivre mes études à l’université Paris 8 et je m’y suis installée. J’ai obtenu une bourse européenne du programme Léonardo pour financer un stage d’insertion professionnelle, que j’ai effectué aux Films d’Ici. Ce stage a joué un rôle prépondérant dans l’amorce de ma carrière de cinéaste, notamment parce que j’y ai rencontré le producteur Serge Lalou, qui a produit mon premier court métrage Carlo (26′), diffusé par Arte en 2008 dans le cadre de la collection Tous européens.

J’ai ensuite été recrutée par la chaîne italienne satellitaire Current, pour laquelle j’ai réalisé entre 2009 et 2011 une série de courts métrages documentaires ainsi que le making off du film de Michelangelo Frammartino Le quattro volte, édité par Agnès B.

Mon mur à moi est un récit autobiographique sur le lien filial et la difficile relation avec un père que la maladie mentale éloigne irrémédiablement. En livrant sous la forme d’un film l’intimité de mon histoire familiale au regard de l’autre, je faisais le pari un peu utopique d’un partage possible, avec l’espoir que quelqu’un pourrait la comprendre et que mon histoire entrerait en résonance avec la sienne. Mais je n’ai pas fait ce film pour résoudre ma souffrance, à la manière d’un travail psychanalytique accompagnant le deuil. Après le film, la blessure est toujours là, peut-être plus douloureuse encore.

Le film est le résultat d’un long travail de maturation et de réflexion, d’écriture et de réécriture. Une première version du projet a obtenu en 2010 le Prix Solinas en Italie et la bourse Brouillon d’un rêve de la Scam. J’ai rencontré à cette occasion Stefano Savona, lui aussi lauréat de la Scam cette année-là. Stefano créait alors avec Pénélope Bortoluzzi sa propre société de production, Picofilms, qui allait devenir coproducteur du mien, la société italienne Vivo Films en étant le producteur délégué.

J’ai poursuivi le travail de réécriture en bénéficiant des observations et recommandations d’Anne Paschetta, conseillère à l’écriture pour l’association Vidéadoc. Cette rencontre a joué un rôle important dans la genèse du film car elle m’a permis de mesurer l’importance du travail d’écriture dans un projet documentaire, surtout de ce type. Le dossier d’écriture sert à solliciter les premiers financements et à dialoguer avec les partenaires potentiels du projet, mais l’écriture permet surtout de réfléchir aux enjeux du film et à son dispositif, d’imaginer des séquences et de commencer à construire un récit. Les forces et les faiblesses du film à venir peuvent déjà s’y lire et si de bons dossiers peuvent donner de mauvais films, un projet dont l’écriture n’est pas forte donnera généralement un résultat faible dans sa réalisation. Il était essentiel pour moi, en raison même du ton très personnel du projet, de ne pas être seule dans cette phase d’accouchement mais d’être au contraire accompagnée par un véritable regard critique. Si elle n’a pas toujours été facile, cette première confrontation m’a permis de progresser, d’aller à l’essentiel, et m’a rendue plus sûre de moi lorsque j’ai dû défendre ensuite mon point de vue devant la production et le diffuseur.

Avec cette deuxième version du dossier, j’ai obtenu une aide au développement du Fonds Libero Bizzarri en Italie puis l’aide au court métrage du CNC (Contribution financière) et enfin une coproduction avec la ZDF/Arte pour la case La Lucarne.

Quand j’ai commencé à faire des images, mon père était en bonne santé, hormis sa schizophrénie, puis on lui a découvert un cancer qui l’a emporté en quelques mois. J’ai dû alors choisir entre arrêter le film ou continuer, en y intégrant cette nouvelle tragédie. J’ai finalement décidé de poursuivre le tournage et j’ai fait avec ma mère un entretien au lendemain du décès de mon père, puis j’ai filmé la mise en cartons de ses affaires. Bien que cela puisse paraître étrange, la caméra m’apportait à ce moment-là une sorte de protection. En même temps, j’ai donné au film une nouvelle orientation, en l’insérant dans une histoire sociale plus large et en filant la métaphore du mur comme un symbole de la séparation, celle qu’instaurait la maladie psychique de mon père mais aussi le mur de l’usine d’armement où il travaillait et toute cette symbolique de guerre et de mort à laquelle ces murs renvoyaient.

Le film a été diffusé sur Arte en 2013. Je développe actuellement un projet de long métrage documentaire, intitulé La lectrice, pour lequel je vais filmer ma fille, qui est scolarisée dans une école maternelle parisienne et qui apprend simultanément l’italien et le français. J’ai obtenu pour ce nouveau film une bourse de l’Atelier Farnèse, un laboratoire franco-italien d’écriture cinématographique destiné à encourager les coproductions entre ces deux pays et mon projet est à nouveau accompagné par Anne Paschetta à Vidéadoc.

(Témoignage publié dans l’édition 2013/2014 du Guide des Aides)