Après avoir fait des études de chinois et travaillé pendant dix ans comme guide interprète, j’ai voulu m’orienter vers le documentaire avec l’idée dans un premier temps de faire des films sur la Chine. Dans cette perspective, j’ai obtenu un financement pour suivre une formation aux ateliers Varan. Je n’avais aucune expérience en matière de cinéma et je n’avais jamais tenu de caméra mais ce qui m’a semblé le plus enrichissant dans cette formation a été, plus que la technique, la transmission d’un regard cinématographique sur le réel. Mon film d’école, « Le fils du coq et du dragon », qui devait évidemment se tourner à Paris, est le portrait d’un Français passionné de culture chinoise, Donatien, qui vit avec une française d’origine chinoise à Belleville et gagne sa vie en étant guide touristique pour les Français qui veulent découvrir les quartiers chinois de Paris. A travers lui, c’est ainsi également le portrait du Chinatown de Belleville.
Après cette formation, je me suis lancé dans l’écriture d’un projet documentaire, à partir du livre de Jean Pierre Levaray, « Putain d’usine ». J’ai obtenu une aide à l’écriture du CNC et le projet s’est fait avec le producteur Yves Billon, de Zarafa (ex-Films du Village) et France 3 Normandie. Après ce film, je suis revenu à mon désir initial de filmer la Chine. Je voulais aborder la vie dans les campagnes, beaucoup moins traitée que la Chine des villes. Lors de mes voyages en Chine, j’avais vu des troupes de cirque itinérantes. J’ai esquissé un projet, à partir de ces souvenirs et j’ai imaginé une troupe. Le projet, déposé à l’aide à l’écriture du CNC a été refusé, sans doute parce qu’il n’était pas assez incarné. J’ai donc décidé de financer moi-même un voyage en Chine pour trouver une troupe, en emmenant avec moi une petite caméra. J’ai alors passé trois semaines avec une troupe que j’ai rencontrée lors de ce voyage. A mon retour, j’ai entièrement réécrit le projet et l’ai déposé à la bourse « Brouillon d’un rêve » de la SCAM, que j’ai obtenue (6 000€).
Zarafa a coproduit le film avec TV Rennes 35 mais la modestie du budget ne permettait pas de financer très généreusement les salaires et le voyage d’une nouvelle équipe. Un ami ingénieur du son à qui j’avais fait lire le projet s’est tout de suite montré enthousiaste et m’a donné son accord. Ensemble, nous avons ensuite trouvé un chef opérateur intéressé par le sujet qui a accepté de travaillé à un salaire minimal. La production a fourni la caméra et le matériel son et nous sommes partis six semaines avec un budget minimum, une partie du voyage étant financée par la bourse de la SCAM. Nous vivions avec la troupe, dans des conditions parfois précaires. C’était à l’origine une troupe familiale, comme beaucoup le sont, qui s’est étoffée en enrôlant des artistes extérieurs à la famille. Composée d’une vingtaine de membres, elle tournait cette année là dans la province du Shanxi, prés du fleuve Jaune, à 5 ou 600 kilomètres au sud de Pékin.
Jusqu’aux bouleversements économiques des années 80, sous l’ère Deng Xiao Ping, ces artistes pratiquaient leur art tout en retournant travailler dans les champs au printemps. Beaucoup ont été contraints par la suite, soit à rechercher du travail en ville, soit à se professionnaliser. Ce type de cirques repose sur une économie très précaire, à la différence des grands cirques nationaux subventionnés : les grandes villes leur sont interdites, car ils sont trop pauvres et leur matériel est défaillant, et ils sont ainsi condamnés à se produire dans les campagnes, devant un public aussi pauvre qu’eux-mêmes.
Je me suis attaché à filmer les situations de vie quotidienne de la troupe pendant et en dehors des spectacles, en m’attachant plus particulièrement aux enfants et à un homme plus âgé qui faisait office d’homme à tout faire et de cuisinier. Comme nous traversions une région montagneuse, le camion n’arrivait pas à grimper les cotes et il est lui-même devenu un personnage du film, tant il symbolise les ennuis de la troupe. Etant le seul membre de l’équipe à parler chinois, mon travail consistait beaucoup à choisir les situations qu’on allait tourner, coordonner le travail et l’intendance.
En rentrant en France, j’ai dû recourir pour la traduction des rushes à une interprète car je ne comprenais pas le dialecte utilisé, qui est celui de la province de Hebei dont la troupe est originaire. J’ai donc découvert sur le tard une partie du sens des dialogues entre les membres de la troupe. Le film a été monté en un mois, avec un chef monteur qui fait également partie de l’équipe de Zarafa. Nous avons monté une version de 75′, intitulée « Les anges de la piste » et qui circule dans les festivals, et une autre de 52′, « Les sentiers de l’infortune », destinée à TV Rennes et au consortium de chaînes locales dont elle fait partie.
Jusqu’à présent le film a été sélectionné au festival Fidadoc d’Agadir au Maroc, au Focus documentaire du Festival du Film indépendant de Bruxelles, au festival international du film ethnographique du Québec ainsi qu’au festival Jean Rouch en 2009. Compte tenu du peu de moyen de la production sur ce film, j’ai dû moi-même m’occuper de son inscription dans les festivals. Parallèlement, par le biais de diverses associations qui projètent en région des films documentaires, j’essaye de le faire vivre en accompagnant les projections. Ce travail de suivi me semble d’ailleurs essentiel dans ma démarche de documentariste que je conçois comme un dialogue avec le public.
Depuis ma formation aux ateliers Varan, j’ai eu la chance de pouvoir faire deux films en trois ans, mais j’ai également écrit d’autres projets qui n’ont pas abouti. Idéalement, j’aimerais pouvoir alterner les tournages en France et en Chine, où le genre documentaire est récent mais suscite un réel intérêt en France et en Europe, en particulier depuis le film de Wang Bing, « A l’ouest des rails » ainsi que ceux de Jia Zhang Ke et de quelques autres moins connus. Il me semble aussi que la curiosité du public occidental pour la réalité sociale chinoise passe beaucoup par le documentaire.
(Témoignage publié dans l’édition 2009 du Guide des Aides)