“Le web man show de diguiden.net”, de Michel Jaffrennou

“Le web man show de diguiden.net”, de Michel Jaffrennou

Créer avec les nouvelles technologie un site internet artistique est souvent vécu comme une sorte  » d’éloge de la disparition  » par les institutions qui subventionnent l’art d’aujourd’hui. Il faut admettre que c’est entrer dans la forêt de milliard de pages qui constituent le  » village global  » et qu’il faut savoir créer un nouveau tribalisme. C’est vrai qu’on peut se demander quelle est la visibilité d’un site artistique. Heureusement, dans une société où l’économie se dit reine, l’art tend à perdurer car il reste aussi nécessaire que les nourritures terrestres. Mais attention nous entrons dans l’ère de la mutation permanente.

Quand l’art vidéo est né il y a plus de 20 ans, tout était à faire et nos vidéos artistiques ont fini par trouver place grâce aux producteurs, diffuseurs, prestataires intéressés par ces nouvelles images et à Canal+ qui les diffusait abondamment. Donc on a fini par vivre de nos œuvres et, 20 ans après, les vidéos sont omniprésentes aussi bien dans les galeries, les musées que dans les expositions internationales (mais paradoxalement, de moins en moins à la télévision).

La différence aujourd’hui, c’est que l’objet l’art tend à disparaître. Nous voilà virtuels en diable et la question récurrente pour tout projet sur internet est  » mais quelle est sa visibilité ? « avant d’aborder la délicate question de son économie qui ne manquera jamais de suivre.

J’ai commencé la vidéo (1979) en la mettant en scène, ce qui m’a permis de m’appuyer sur le système économique de diffusion du théâtre, de l’aide des institutions comme le Centre Pompidou, par exemple et de lui donner une visibilité relayée par la presse, dont on connaît le rôle dans cette société de communication.

Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies du web, nous ne sommes plus dans la même configuration. D’ailleurs, dans les devis, ce n’est plus le prix des machines qui prime (on n’indique plus le prix de la  » journée machine « ) tant le matériel s’est démocratisé) mais les gens qui les manipulent. Et surtout les possibilités ouvertes par l’interactivité changent totalement l’œuvre et le rapport à l’œuvre. Ces technologies laissent la place à la spontanéité voire l’improvisation. Quel bonheur !

Si www.diguiden.net est un site qui évoluera au fil des mois et des années, il a aussi donné naissance à un personnage héros d’un Web Man Show, un spectacle sur scène, en direct live comme on dit, qui tend à décontracter les gens devant la complexité inhibante de la technologie, du net qui n’est pas aussi net que l’on voudrait nous le faire croire.

Le spectacle sera créé en décembre 2001 au Carré Amelot (La Rochelle) puis  » recréé  » à chaque représentation pendant sa tournée en France, en Europe et à l’étranger. J’ai bien dit  » recréé  » car si on pratique vraiment l’interactivité ça signifie que les spectateurs auront à chaque représentation une part active dans l’œuvre. Une participation dont nous tiendrons compte pour acquérir des connaissances multiculturelles que nous  » apprendrons  » ensuite à diguiden par la voie des algorithmes. C’est pourquoi je veux aller à la rencontre de publics différents pour jouer  » avec  » eux et j’espère bien aller au Brésil et en Corée du sud où j’ai déjà trouvé des publics très participants lors de mes expositions et performances.

Ce spectacle, retransmis à chaque représentation en streaming sur le web, se présente sous le titre suivant  » Ma vie, Mon oeuvre, Mon nez… un Web Man Show de www.diguiden.net « , personnage 100% algorithmique accompagné sur scène par moi-même dans le rôle de Gepetto. C’est un  » work in progress  » au ton satirique qui joue à entrelacer le réel et l’imaginaire des spectateurs et à en jouer avec eux, puisque les voilà devenus spect-acteurs.

Le financement ? Je suis devenu auteur-réalisateur-producteur-diffuseur en collaboration avec la Société Et Alors Productions créé par Marc Marchand et ses complices, de jeunes graphistes-programmeurs  » qui sont tombés dedans (les NT) quand ils étaient petits « .

Sorte d’artiste résident, j’y mène la série de dossiers (en papier) qui expliquent et chiffrent nos démarches artistiques et tous ensemble nous réalisons le spectacle, nous comptons la monnaie, nous faisons des prestations extérieures qui financent le budget (121 959,21 € / 800 000 F) du spectacle.
Le Ministère de la Culture (le fonds DICREAM) nous a donné 22 867,35 € (150 000 F), le plan Média européen la même somme, le Carré Amelot environ la même somme, la Caisse des Dépôts et Consignations une petite somme, la SCAM une somme encore plus petite… La DRAC Ile de France, ce sera pour l’année prochaine, l’ADAMI, on dépose le dossier etc..

Mais aussi on vend diguiden car il fait des prestations de Monsieur Loyal : en septembre pour l’ouverture du CUBE multimédia à Issy les Moulineaux, et en novembre il fera la remise des prix aux  » 3es rencontres de la jeune création européenne  » à Valenciennes… Bref on pratique plus que jamais le financement-scotch puisque chaque année il faut trouver les moyens de faire évoluer le site, le work in progress que le net engendre pour le meilleur comme pour le pire.

Mais nous avons entre les mains des outils qui nous permettent de nous retrouver dans la situation du conteur de la tradition orale qui allait de villages en villages et développait ses histoires en fonction des réactions de ses auditeurs, entrelaçant ainsi le réel et l’imaginaire.

Il faut espérer qu’en 2003 on y verra plus clair dans ce domaine où les
artistes créateurs sont plus que jamais inventeurs. Le terrain du multimédia est très sauvage au bon sens du terme. Quels sont les producteurs ? Les modes de diffusion ? Personne ne sait où on va, nous sommes dans l’innovation, dans le test, l’expérience.

Les institutions ont plus que jamais un rôle à jouer en finançant l’innovation pour faire évoluer son industrie culturelle. Il se passe des choses extraordinaires sur le web même si pour les trouver il faut devenir explorateur, en relation avec le web car je ne suis pas le seul, vous pouvez me croire, à faire du spectacle.

De tout ce que je viens de dire je nourris diguiden, ma marionnette algorithmique au long nez, tellement comportementale (réactive) que diguiden s’est mis en tête (et pourtant il n’a qu’un neurone) de devenir la star du web . S’il fait du spectacle, des galas, de la promo, c’est pour trouver une adéquation entre artistique, technique et économie et  » vendre  » son site comme le font les chanteurs pour vendre leurs galettes.

A propos de  » comportements  » ne traitez jamais diguiden de Pinocchio car alors aucun algorithme au monde ne saurait le calmer !

http://www.diguiden.net

(Témoignage publié dans l’édition 2002 du Guide des Aides)