Le film raconte la tournée aux Etats-Unis du contrebassiste de musique improvisée, Peter Kowald, qui est aussi un ami. Peter avait fait savoir sur Internet qu’il voulait faire cette tournée et avait reçu en retour une cinquantaine d’offres de concert aux quatre coins du pays. Il avait ensuite organisé les rendez-vous en un grand itinéraire circulaire de trois mois — New York, Nashville, Atlanta, New Orleans, Houston, San Diego, Los Angeles, San Francisco, Chicago, New York — au bord d’une grosse « Chevrolet Caprice » qui a effectivement fait beaucoup de caprices…
Peu de temps avant son départ, lorsque Peter est venu m’annoncer son voyage, je lui ai suggéré d’en faire un film: il m’a proposé sur le champ de partir avec lui. J’ai donc écrit sans tarder un projet que j’ai proposé à un producteur qui a réussi à obtenir rapidement un accord de coproduction de la chaîne Muzzik. La télévision publique suisse allemande est également entrée dans la production.
Avant de partir, j’ai dû me préparer techniquement car pour la première fois je faisais la réalisation, l’image, le son, la régie, etc. Pas de place ni d’argent pour un cadreur, un preneur de son ni même un assistant. La production a payé les billets d’avion, les cassettes, la moitié de l’essence, la location d’un couple de micros stéréo… et nous étions nourris logés chez l’habitant (souvent l’organisateur du concert). Combien de nuits passées sur le canapé du salon au milieu des poils de chat ? Beaucoup de kilomètres, et peu de sommeil donc, mais c’est à ces conditions très économiques que le film a pu se faire.
L’idée de Peter Kowald pour cette tournée était de jouer en solo en chaque première partie puis avec les musiciens sur place qui le souhaitaient, parmi eux de très grands musiciens du Free Jazz et de la musique improvisée. Mais ce film n’est pas seulement une traversée de la musique, c’est aussi une traversée de l’Amérique « off the road » que nous avons cherché à rencontrer, une certaine Amérique rebelle, critique, souvent pauvre, des Noirs, des Indiens (les Navajos), des artistes, et des gens de la rue au hasard des belles rencontres… Avec Peter mais souvent aussi seule, je partais avec ma caméra avec l’idée de m’approcher d’un « Free Improvised road movie » en cherchant des correspondances avec cette musique sans partition, soit dans ma façon de filmer soit dans les situations croisées.
Utiliser un excellent matériel, surtout parce que je faisais tout toute seule, a été déterminant. Je suis partie avec une caméra Sony DVCam équipée sur le dessus d’un micro Neumann, qui coûtait à lui seul la moitié du prix de la caméra. Pour enregistrer les concerts j’avais un couple de micros stéréo Schoeps sur un support dit « ORTF « , une table de mixage et un DAT, tout cela indépendant de la caméra.
Au retour, je me suis équipée d’un système de montage Final Cut Pro sur un Macintosh G4 que j’ai bourré de mémoire vive et de 180 gigas de disques durs. Cette configuration me permettait d’avoir douze heures de rush en ligne, sans compression donc sans perte de qualité à la sortie, et de travailler en qualité rush. J’ai utilisé un large téléviseur 16:9 comme moniteur vidéo et deux écrans informatiques, un grand pour les deux fenêtres et la time-line; et un plus petit pour le chutier. J’ai appris en quinze jours à me débrouiller avec le logiciel et ai mis sept mois au total à faire le film à partir des 120 heures de rush. Au 2/3 du montage, une monteuse est passée régulièrement comme « œil extérieur » pour m’aider avec les questions de macro (la structure) et de micro (les raccords). Jusqu’à présent mes films avaient souffert d’un cruel manque de temps de montage; ayant toujours été très présente dans les montages de mes précédents films, je souhaitais depuis quelque temps faire le pas. Je peux dire maintenant que le fait de posséder l’outil et de monter moi-même a tout changé pour ce film et changera encore profondément la fabrication de mes prochains films.
OFF THE ROAD est un « one-woman-film » qui porte les traces d’une expérience à la limite de mes forces. L’énergie qu’il a fallu que je déploie est peut-être d’ailleurs celle-là même qui fait aujourd’hui tourner le film. On parle maintenant d’édition de VHS, de DVD, de kinescopage, de diffusion en salle… « Bonne route » est donc ce qu’on peut souhaiter de mieux à OFF THE ROAD.
(Témoignage publié dans l’édition 2004 du Guide des Aides)