Claire Simon, réalisatrice

Claire Simon, réalisatrice

J’anime un atelier de réalisation documentaire à l’université Paris VIII (Saint-Denis) et je suis responsable au département Réalisation à la Fémis. Je fais également partie de l’équipe des Ateliers Varan.

La Fémis est une grande école, avec de gros moyens et une pratique très développée, mais difficile d’accès. On y apprend à devenir un professionnel de haut niveau, qui devra trouver sa place dans l’industrie du cinéma. Les Ateliers Varan, quant à eux, organisent des stages d’initiation à la réalisation de films documentaires qui durent trois mois. C’est une formation qui ne s’adresse pas aux étudiants mais à des gens plus âgés, qui peuvent obtenir un financement au titre de la formation professionnelle.

Il existe beaucoup d’écoles dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel mais nombre d’entre elles ont avec leurs étudiants des rapports de vendeur à client. Le savoir y est envisagé de façon utilitaire, comme un commerce. Ce rapport ne m’intéresse pas et me semble malhonnête. Il faut faire attention aux mirages : devenir réalisateur n’est pas un rêve de statut social et d’argent. Parmi les étudiants qui sortent des écoles, rares sont ceux qui travailleront à plein temps pour le cinéma ou même tout simplement qui arriveront à vivre de leur métier.

Le cinéma et l’audiovisuel représentent un énorme marché, le premier aux Etats-Unis. La France est sans doute un des seuls pays où ce marché est diversifié et où le cinéma d’auteur a encore une place. Mais nous ne sommes pas si nombreux à penser que le cinéma pourrait être un art et un acte politique. J’ai fait de la fiction et du documentaire. Le cinéma documentaire a beaucoup de mal à s’imposer et à exister.

Le pire, surtout pour un débutant, c’est cette violence du marché. Il faut une volonté de fer pour y résister. A la télévision, quelques personnes distribuent ou non l’accès à l’écran. Les chaînes sont de plus en plus rigides et commerciales, elles se ferment toujours davantage à la création et à l’invention. La télévision est monolithique, car même si il y a plusieurs chaînes, ce sont les annonceurs qui décident. L’audiovisuel est devenu un formidable appareil idéologique, le meilleur outil de colonisation mentale qui soit.

Personnellement, je n’ai pas fait d’école, j’ai commencé en faisant directement des films et du montage, mais l’apprentissage sur le tas devient beaucoup plus difficile avec la disparition progressive de l’assistanat. Je conseillerais aux jeunes qui n’ont pas accès aux grandes écoles d’aller à la fac. L’avantage de l’université, c’est sa liberté, les étudiants s’y sentent autorisés à penser. L’enseignement pratique est souvent assuré par des intervenants qui sont eux-mêmes cinéastes, les critiques et les chercheurs se chargeant de l’aspect plus analytique et théorique. On y apprend ce que la pensée dominante, le mainstream, ne dit pas, à exercer son regard, à parler de ce qu’on voit, à en discuter et à l’analyser.

Il faut se défier d’une vision trop utilitaire, trop axée sur l’approche professionnelle, de la formation au cinéma. C’est l’œil et la pensée qui comptent, tout comme la curiosité. On en apprend davantage sur l’art en regardant des films et en les analysant qu’en se formant sur des logiciels ou en faisant des stages d’observation sur lesquels on apporte des cafés et on fait des photocopies.

A l’université, on peut être dans la recherche, sans obligation de résultat formaté. Outre la cinéphilie (qui est essentielle, imagine-t-on un ébéniste qui n’aimerait pas les meubles ?), on peut y acquérir une première pratique, même modeste. Les moyens matériels sont limités, mais l’accessibilité des nouveaux outils de tournage et de montage permet aux étudiants de devenir rapidement opérationnels, même si c’est à un niveau modeste.

La pratique et la culture du regard dispensées à l’université ne suffisent certes pas à faire de chaque étudiant un futur cinéaste, comme les études de lettres ne fabriquent pas des écrivains à la chaîne, mais elles sont assurément très utiles à tous ceux qui voudraient travailler dans les métiers du cinéma et de l’audiovisuel.
Ceux qui ont un désir très fort ne doivent pas se décourager. J’espère que les jeunes sauront inventer une résistance au marché, car aujourd’hui l’idée, c’est un film pour toute la planète. Les jeunes peuvent inventer, créer de nouvelles formes, de nouvelles pratiques mais il faut trouver des alternatives au monopole de la diffusion. Cette question est essentielle car, si de plus en plus de gens ont envie de faire des films, ils ne pourront pas tous être distribués. J’espère qu’il y a quelque part quelqu’un qui a une idée pour nous tirer de là…

(Témoignage publié dans l’édition 2003 du Guide des Formations)